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RDC : enseignement scolaire, gratuité contre qualité (Raïssa Malu)
[TRIBUNE] – La rentrée, c’est dans environ 3 semaines et au Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel (EPSP), c’est actuellement l’effervescence. On prépare l’année scolaire 2019-2020 qui a été placée sous le thème suivant : « Bonne Gouvernance du système éducatif et leadership efficace pour la mise en œuvre de la gratuité de l’éducation de base ». Tout un programme !
Avant, c’était la « qualité ». Aujourd’hui, le mot que vous entendrez sur toutes les lèvres, c’est « gratuité ». On la souhaite, on la redoute et on s’en moque aussi un peu. « Avons-nous les moyens de mettre en place la gratuité de l’enseignement en RDC ? »
Je vous rassure (ou je vais vous décevoir), je ne vais pas répondre ici à cette question. Non. Parce que tous les acteurs et spécialistes de l’éducation se réunissent à Kinshasa la semaine prochaine pour en débattre lors du deuxième forum national sur la gratuité de l’enseignement de base. Et directement après, du 21 au 24 août, les cadres nationaux et provinciaux du Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel participeront aux Assises de Promotion Scolaire Nationale 2019 (un événement organisé tous les ans) pour décliner ce programme en action.
À la place, je vous propose de plonger une fois encore au cœur du système éducatif congolais pour en découvrir les multiples facettes. (C’était le programme que je m’étais fixé pour les mois de saison sèche ou d’été. 😉)
Récemment, un ami (bienveillant) me partageait un reportage sur une école primaire dans un certain village au nord du pays bâtie en matériaux de la forêt (dit pudiquement dans le documentaire). L’école est modestement équipée (un euphémisme). Les six « classes » ont un genre de tableau. Les enfants y viennent pour la plupart pieds nus. Beaucoup sont absents, car leurs parents sont incapables de payer les frais scolaires s’élevant à 1000 FC et 1500 FC selon le niveau (environ 0,59 USD et 0,89 USD).
Dans ces endroits, les enseignants dépensent une part non négligeable de leur salaire (moins de 100 USD) en déplacement pour le toucher au centre « le plus proche ». Et je ne vous parle pas de nombreux problèmes d’insécurité si le village a le malheur de se situer dans une zone stratégique, riche en quelques ressources naturelles par exemple.
La veille, j’avais une réunion de travail où mes collègues me racontaient leur visite dans un complexe scolaire ultra moderne récemment inauguré dans une autre province au sud du pays. Ils étaient impressionnés, car dans l’enceinte de l’école, le WiFi est disponible gratuitement pour tout le monde. L’école propose des classes numériques. Les différentes sections et options sont toutes équipées en matériel didactique. L’école a accès à l’eau et l’électricité (dois-je le mentionner ?). Et les enseignants reçoivent chaque fin de mois un sac de farine en plus de leur salaire (dans nos régions, c’est un avantage certain).
À l’échelle du pays, la première situation est bien plus courante que la deuxième (pour le moment). Mais, vous avez aussi une bonne part d’écoles, principalement en milieu urbain ou semi-urbain, qui se trouvent dans la panoplie de situations intermédiaires. Ceci vous donne une idée des grands écarts que les agents et acteurs au sein du Ministère de l’EPSP doivent faire quotidiennement.
Face à de telles situations, la réaction courante est la tristesse, l’indignation et la colère. Qui sont les responsables ? Que fait le Gouvernement ? À quoi sert le financement de l’éducation ? nous écrions-nous. Pourtant, l’école n’est pas un système isolé de la société. Si la société a des difficultés, l’école a des difficultés. Si la société prospère, eh ben, figurez-vous que l’école peut quand même avoir des difficultés. Je vous explique.
Le problème qui moi « m’empêche de dormir » est que les parents nous confient chaque année des millions d’enfants (et ils vont nous en confier des millions d’autres si la mesure de gratuité est appliquée) et beaucoup de ces enfants, lorsqu’ils quittent notre système éducatif ont appris à peine plus que s’ils avaient choisi de rester à la maison. C’est à rendre malade, n’est-ce pas ?
Cherchant à retrouver le sommeil, je me suis plongée dans le livre de Sir Ken Robinson, spécialiste anglais de renom en éducation, « Changez l’école : la révolution qui va transformer l’éducation ». Et alors que je commençais enfin à me détendre, je tombe sur ceci : « Si vous gérez un système éducatif fondé sur la standardisation et le conformisme, qui vise à réprimer l’individualité, l’imagination et la créativité, ne vous étonnez pas qu’il y parvienne ».
Cela a eu sur moi l’effet d’une bombe. C’est comme s’il m’avait dit : « Tantine. Toi là, tu t’agites pour améliorer la qualité de l’enseignement des sciences et des mathématiques pensant que tu vas former des super-Congolais et Congolaises, mais tu ne peux pas y arriver ! Peut-être que vous atteindrez le niveau des pays industrialisés, mais ce sera pour encore mieux subir les revers de leur propre système. » A ce moment-là, vous savez, on se met à tourner frénétiquement les pages du livre pour évaluer l’ampleur des dégâts (Docteur, vais-je mourir ?).
Le système éducatif que nous avons tous largement adopté est calqué sur le modèle de la production de masse, le modèle de l’usine : même programme, même pédagogie et les élèves sont évalués à l’aune d’un unique étalon. C’est marrant, ne trouvez-vous pas ? Nous avons adopté un système basé sur un modèle pour le moment quasi inexistant dans nos sociétés africaines. C’est comme si nous avions mis la charrue avant les bœufs.
Un système standardisé n’a pas d’autre but que de standardiser (mais où avions-nous la tête ?) Et quand on veut une chose et son contraire, voici ce que l’on récolte : un taux alarmant de non-diplômés, le désintéressement des élèves pour certaines matières (sciences et mathématiques par exemple), démotivation des enseignants (voire suicide), baisse de la valeur des diplômes universitaires, accroissement du coût des études, accroissement du chômage chez les diplômés comme les non-diplômés. Cela colle aux pays africains, n’est-ce-pas ? Pourtant, ce sont là aussi les problèmes que l’on retrouve dans les pays où les systèmes éducatifs standardisés ont été inventés et marchent globalement le mieux…
En Afrique, nous voulons un culte (exagéré) aux diplômes (universitaires) et à la réussite aux tests standardisés, comme l’Examen d’Etat que nos élèves passent à la fin du secondaire. Or, les spécialistes constatent que « les qualités entrepreneuriales d’un pays sont inversement proportionnelles à sa réussite aux tests standardisés. » Ah, ah ! Les qualités entrepreneuriales, ne sont-elles pas celles-là que nous voudrions faire acquérir à tous nos jeunes en Afrique ? (Mais qu’ils cessent donc de vouloir tous devenir des fonctionnaires et qu’ils créent leur propre emploi s’il vous plaît). Mais, si elles sont importantes dans les contextes de nos pays, il y a quelque chose de plus important encore.
Oublions un moment cette distinction entre pays industrialisés et en voie de l’être. Aujourd’hui, les défis majeurs de nos sociétés sont les mêmes : changement climatique, préservation des ressources, protection des données, Intelligence Artificielle, etc. Pays riches et pauvres, multinationales et PME/TPE, nous avons tous besoin d’hommes et de femmes capables de s’adapter rapidement au changement et capables de générer des idées nouvelles.
Pour ce faire, Sir Ken Robinson nous martèle de ne pas chercher à arranger, mais à changer, de ne pas chercher à réformer, mais à transformer nos systèmes éducatifs. Comment ? « Pour changer le système éducatif, il importe d’en connaitre la nature » (c’est pour cela que je vous assomme de ces articles 😉) et « le système éducatif présente un fort potentiel d’innovation », nous dit-il. « Il ne s’agit pas de faire mieux qu’auparavant. Nous devons faire autrement. »
Les jeunes (filles et garçons) que je rencontre en République Démocratique du Congo sont prêts pour l’innovation. Et nous, les administrations, les enseignants, les politiques, la société civile, le secteur privé, les partenaires techniques et financiers, sommes-nous disposés à innover ? Épilogue
Et moi, ai-je retrouvé le sommeil ? Oui et non. Les nouveaux programmes du domaine d’apprentissage des sciences développés par le Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel, proposent une approche pédagogique qui vise à valoriser ce que l’enfant, les enseignants et les communautés savent et possèdent. L’objectif est de donner aux élèves l’envie d’apprendre. La démarche est de travailler avec ceux qui sont à l’intérieur du système éducatif pour le changer.
Seulement, il est utile que nous gardions en mémoire ces mots de Sir Ken Robinson : « l’éducation ne se fait pas dans les hémicycles ni grâce à la rhétorique des politiciens. Elle résulte de ce qui se passe entre les élèves et les professeurs à l’école. »
Science is fun, join us! 😊
P.-S. L’image de couverture de l’article a été réalisée par le Secrétaire Permanent d’Appui et de Coordination du Secteur de l’Education (SPACE). Pour vous aider à comprendre, elle reprend les principales réformes en cours au sein du système éducatif en République Démocratique du Congo pour chaque niveau d’enseignement. J’aime bien cette image et j’ai beaucoup de plaisir à travailler et collaborer avec les acteurs de notre système éducatif. 😊
Comme on dit ici aussi, on est ensemble ! 😊
Raïssa MALU, consultante internationale en Education