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[TRIBUNE] – Comment le président de la République devrait-il être élu ?

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Election Présidentielle

[TRIBUNE] – Tout part du constat selon lequel dans la plupart des démocraties, le mode de désignation du président de la République consacre une entorse considérable par le fait d’une restriction à un choix unique. Quoiqu’intuitif, le principe qui veut que le candidat ayant simplement mobilisé la majorité des suffrages exprimés soit élu se prête aisément à la critique.

Face à un tel système électoral qui génère une sorte d’illusion optique sans pouvoir refléter correctement les préférences des électeurs, Dandy Matata Amsini, doctorant en économie à l’Université protestante au Congo (UPC), Chercheur au LAREQ et Jean-Paul K. Tsasa, Ph.D candidate en économie à l’Université du Québec (Montréal, Canada), développent un triple argument scientifique contre la règle de majorité, contre l’exclusion des « joueurs » et contre les candidatures uniques. Ci-dessous, l’intégralité de sa réflexion:

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*Cette note exprime les opinions des auteurs et n’engage aucunement leurs institutions d’attache.

PRÉAMBULE

À l’issue de la série inaugurale des conférences de la C2-I2, sur l’éventail des réflexions proposées, nous nous sommes intéressé à deux questions à la fois simples et délicates : (i) Comment le président de la République devrait-il être élu dans les pays en développement ? (ii) Quels sont les pièges à éviter afin de préserver la crédibilité ex-ante et ex-post lors d’un processus électoral ? Dans la présente note, nous tentons d’y répondre en adoptant une posture épistémologique.

En somme, comme nous l’explicitons dans les sections qui suivent, notre propos gravite autour des quatre idées suivantes à propos du processus électoral :

  • Abandon de la règle de majorité standard, laquelle est fortement vulnérable au vote non citoyen, partisan, et tribal, au profit d’une règle de sélection du gagnant majoritaire.

 

  • Inclusion de tous les acteurs politiques majeurs dans l’éventail des possibilités des choix politico-sociaux.

 

  • Publication d’une grille harmonisée et comparative des différents projets de société présentés par les candidats à l’élection présidentielle. En effet, à ce jour, grâce à la recherche novatrice des auteurs du modèle Columbia et du modèle Michigan, il est reconnu que les électeurs ne sont généralement pas motivés par l’idéologie et ignorent souvent les faits les plus fondamentaux de la politique (Lazarsfeld et al. 1948, Zipp et Smith 1979). En sus, même ceux qui connaissent les débats de politique publique ignorent souvent la position des candidats et des partis sur les questions-clés de la société (Converse 1964). D’où la nécessité de l’élaboration, suffisamment à temps, d’une grille comparative des projets de société par une équipe des chercheurs interdisciplinaires et politiquement neutres.

 

  • Éviter les candidatures uniques tout en favorisant un système électoral qui permette à l’électeur de procéder à un classement complet de ses préférences vis-à-vis des candidats en lice. Sur base de ce classement, appliquer un algorithme simple tel que proposé entre autres par Gibbard (1973), Satterthwaite (1975) et Maskin (1979) à l’effet de dégager le « véritable vainqueur ».

RAPPEL DES OBJECTIFS ET AVERTISSEMENTS

Dans la plupart des démocraties, le mode de désignation du Président de la République consacre une entorse considérable par le fait d’une restriction à un choix unique. Quoiqu’intuitif, le principe selon lequel c’est le candidat ayant simplement mobilisé la majorité des suffrages exprimés qui est élu se prête aisément à la critique.

Dès le XVIIIè siècle, il a été établi que cette règle universellement admise et qui semble basée sur le bon sens est intrinsèquement erronée (cf. Borda 1781, Condorcet 1785). Pour parvenir à le démontrer et à titre illustratif, nous allons considérer dans la suite de notre raisonnement le cas d’un pays fictif « Lambda » où 3 candidats (X), (Y) et (Z) sont en compétition pour la magistrature suprême. L’entorse réside notamment dans le fait que les candidats (X) et (Y) peuvent chacun être plus populaires que (Z) dans le sens où l’un ou l’autre battrait (Z) dans un duel électoral, mais néanmoins chacun pourrait perdre face à (Z) s’ils concouraient tous les deux.

Un tel système électoral qui génère une sorte d’illusion optique, ne saurait refléter correctement les préférences des électeurs. Ce mécanisme de vote calqué sur le modèle occidental est susceptible d’aggraver la polarisation politique dans les jeunes démocraties en favorisant notamment la dimension tribale, tout en ne réservant que trop peu d’alternatives ou d’options politiques aux citoyens.

Cette note est élaborée dans un triple objectif :

  • Présenter très succinctement, sur base d’une littérature scientifiquement crédible et sous un angle économico-mathématique, un contre-argumentaire réfutant la validité de trois faits marquant du système électoral dominant dans les pays en développement : la règle de majorité, l’exclusion des joueurs et la candidature unique.

 

  • Proposer une stratégie consistant à l’élaboration d’une grille harmonisée et comparative des projets de société, par une équipe des chercheurs interdisciplinaires et politiquement neutres, en vue de garantir tant soit peu la robustesse du processus électoral face aux évidences socio-psychologiques qu’ont révélées les modèles Columbia et Michigan.

 

  • Exploiter les résultats établis par des chercheurs tels que Kenneth J. Arrow, John C. Harsanyi, Amartya K. Sen, Eric S. Maskin ou encore Roger B. Myerson, pour présenter des alternatives susceptibles d’être plus compatibles aux réalités endogènes des pays en développement comme la République Démocratique du Congo (RDC).

D’entrée de jeu, il sied de préciser que notre démarche ne vise strictement pas à suggérer un ajustement immédiat ou une réforme précipitée des systèmes électoraux des pays en développement et de la RDC en particulier. Il est plutôt question de susciter un débat objectif et véritablement scientifique devant s’inscrire dans une perspective intergénérationnelle ; d’amorcer une réflexion froide sur l’une des questions les plus fondamentale de nos sociétés en développement : « Comment devrions-nous élire nos présidents de la République ? » Dans cette perspective, les contre-arguments mobilisés sont connus et discutés par les économistes (chercheur), et plus précisément de ceux qui s’intéressent à la théorie du choix social, en droite ligne des travaux de Kenneth J. Arrow et d’Amartya Sen.

Deuxièmement, s’il est indéniable que cette note rencontre l’actualité politique congolaise, son contenu se fondant sur des évidences scientifiques est absolument dénué de toute tentation de plaire à un quelconque regroupement politique. Dans ce contexte, la position y adoptée est politiquement neutre et analytiquement exempte de tout biais idéologique, car fondée sur des principes mathématiquement vérifiables et non partisans.

Troisièmement, le propos développé ici devrait appeler à une réflexion courageusement froide plutôt qu’à des réactions chaudes et subjectives, en ce sens qu’il est possible que le caractère absolu de sa validité fasse objet d’exceptions d’ordre juridico-procédural et donc favorise un débat d’idées plutôt que des conjectures ou préjugés sans fondements scientifiques.

Aussi, le langage que nous adoptons ici est intentionnellement allégé pour permettre à un plus grand nombre de lecteurs d’en appréhender le message de fond. Les scientifiques rigoureux – notamment les théoriciens du choix social – risqueraient d’être quelque peu déçus. Néanmoins, nous espérons que la clarté et la concision des assertions et propos tenus, atténueront quelque peu un tel risque de déception. À titre indicatif, nous reprenons à la fin de chaque section quelques références bibliographiques pour les lecteurs désireux d’accéder à plus d’informations, au-delà de celles contenues dans la présente note.

DE LA RÈGLE DE MAJORITÉ, DE L’EXCLUSION ET DE LA CANDIDATURE UNIQUE

Le vote à la majorité est une institution largement répandue dans presque toutes les sociétés démocratiques. Mais en tant que méthode de choix politico-sociale équitable, il est très vulnérable à la critique sur plusieurs fronts à cause de faiblesses intrinsèques notables : (1) il est intransitif ; (2) il est indécis ; (3) il est susceptible de manipulations stratégiques ; (4) il est « Pareto sous-optimal » en considérant la forme fonctionnelle de l’utilité des électeurs.

Assertion 1 : Intransitivité.

En général, la faiblesse du vote à la majorité réside dans son échec à générer un ordre social transitif des alternatives.

Exemple 1.

Sans perte de généralité, supposons trois alternatives lors d’une élection présidentielle dans le pays fictif Lambda.  Pour une meilleure contextualisation, supposons auxiliairement que les trois candidats qui s’affrontent sont issus d’ethnies différentes.

X : Candidat de la majorité au pouvoir.

Y : Candidat de l’opposition au pouvoir.

Z : Candidat indépendant.

En vertu de l’axiome de transitivité, au niveau individuel de chaque électeur, si le candidat (X) est préféré au candidat (Y) et le candidat (Y) préféré au candidat (Z), alors il est logiquement attendu que le candidat (X) soit préféré au candidat (Z) et remporte donc l’élection de manière irréfutable (voir schéma 1). Intuitivement, le résultat agrégé au niveau de l’ensemble de l’électorat devrait refléter cette relation de préférence.

Cependant, il est démontré que le vote majoritaire viole ce principe en engendrant une situation de choix paradoxal décrit dans le schéma ci-dessous. En effet, la majorité de l’électorat peut très bien préférer le candidat (X) par rapport au candidat (Y) et le candidat (Y) par rapport au candidat (Z) mais paradoxalement préférer le candidat (Z) par rapport au candidat (X) (voir schéma 2).

Schéma 1. Illustration du principe de transitivité dans la formulation des choix

Schéma 1 Illustration du principe de transitivité dans la formulation des choix

Dans le cas décrit par le schéma 1, le choix III est une conclusion intuitive qui découle logiquement des deux choix de préférence précédents. Dans ce cas, l’élection du candidat (X) reflèterait bien les préférences de l’électorat du pays Lambda en observant le principe de transitivité.

Le système du vote majoritaire qui consacre la victoire électorale au candidat ayant simplement mobilisé la plus grande part des suffrages exprimés conduit à un paradoxe tel que décrit dans le schéma 2. Dans ce cas, la conclusion de « syllogisme » électorale semble en contradiction avec les prémisses précédemment posées et vérifiées. En effet, quoique le candidat (X) soit préféré au candidat (Y) qui lui-même est préféré au candidat (Z) pour un électeur donné, rien n’exclut que le candidat (Z) quant à lui soit préféré au candidat (X). Cette éventualité contre-intuitive engendre donc un paradoxe.

Schéma 2. Illustration de l’intransitivité du vote majoritaire

Schéma 2 Illustration de lintransitivité du vote majoritaire

Par ailleurs, considérons trois catégories d’électeurs : A, B et C.

Si :

A préfère (X) à (Y) et (Y) à (Z) ;

B préfère (Y) à (Z) et (Z) à (X) ;

C préfère (Z) à (X) et (X) à (Y) ;

Alors dans ce cas, il en résulte une majorité cyclique qualifiée de « paradoxe du vote ». Il est tout de même important d’indiquer ici que cette faille est loin d’être unique à la prise de décision soumise à une règle de majorité – comme l’a montré Kenneth J. Arrow – mais le problème affecte toute procédure de choix social qui satisfait plusieurs conditions raisonnables (voir Arrow (1951) pour plus de détails).

Assertion 2. Indécision.

Le vote à la majorité peut être non décisif en ce sens qu’il peut échouer à produire un gagnant majoritaire d’emblée. Cette assertion peut être analysée sous deux angles différents. Au premier sens il est évident que, dans le cas d’un scrutin avec un nombre de candidat supérieur à deux, il se pourrait qu’aucun d’entre eux ne puisse capturer plus de 50% des suffrages exprimés. Le deuxième sens renvoie au fait qu’il est tout à fait possible qu’aucun candidat ne puisse sortir victorieux même dans une « compétition par paires ». Dans la pratique, comme on l’observe fréquemment dans les grandes démocraties telles que la France ou les États-Unis, l’éventualité d’un gagnant non majoritaire est souvent traitée en organisant un second tour entre les deux candidats ayant mobilisé le plus de suffrages.

Assertion 3. Alternative face à l’intransitivité et l’indécision

Une question sous-jacente aux deux assertions développées ci-dessus est de savoir pourquoi la règle de la majorité conduit à l’intransitivité et à l’indécision. La réponse réside dans le fait que dans ce procédure de choix, les préférences des individus sont généralement contraintes à n’être exprimées que de façon unique.

Une importante préoccupation émerge alors : existe-t-il une alternative permettant de contourner le piège de l’intransitivité et de l’indécision, caractéristique du vote à la majorité ? Partant de la littérature scientifique sur la question, la réponse semble affirmative. En effet, depuis plus d’un demi-siècle maintenant, Bowen (1942) et plus tard Black (1948) ont montré que l’existence d’un « ordonnancement naturel » des alternatives permet de garantir à la fois la transitivité des préférences sociales et l’existence d’un gagnant majoritaire par paires. Il est important de noter le mot « paires » étant donné que le critère établi par Bowen (1942) et Black (1948) n’assure pas un gagnant majoritaire dans le premier sens aux élections avec trois candidats ou plus.

Exemple 2.A.

Supposons que les candidats sont naturellement ordonnés selon leur libéralisme ou leur conservatisme. Une fois de plus, sans perte de généralité, envisageons une élection avec trois candidats :

L’aile droit représentée par (X) ;

L’aile modéré représentée par (Y) ;

L’aile aile gauche représentée par (Z).

Si au lieu d’effectuer un choix unique, l’électeur est invité à opérer un classement des candidats selon ses préférences, le vainqueur du scrutin sera déterminé sur base de trois possibilités. En admettant que les préférences des électeurs sont classées en ordre décroissant du plus préféré au moins préféré, les trois possibilités sont alors les suivantes :

Classement 1 : (X, Y, Z) ;

Classement 2 : (Y, X, Z) ;

Classement 3 : (Z, Y, X).

Les électeurs choisiront donc un classement particulier est non uniquement un candidat. Comme chez Maskin (1979), considérons à présent qu’à l’issue du vote, les préférences de l’électorat se résument comme suit :

Classement 1. (X, Y, Z) : 48% ;

Classement 2. (Y, X, Z) : 3% ;

Classement 3. (Z, Y, X) : 49%.

Il est clair qu’avec cette configuration, (Y) gagnerait dans une compétition par paire, (X) serait deuxième et (Z) troisième. En effet, un cumule de 51% des électeurs classent (Y) devant (X) et 51% aussi le classent devant (Z). Cependant, dans la course à trois, c’est-à-dire avec des trios de préférence et non des paires, non seulement il n’y a pas de gagnant majoritaire si les individus votent pour leur candidat préféré, mais l’ordre d’arrivée est tout à fait le contraire du « vrai ».  (Z) serait premier étant donné que 49% des électeurs l’auront classé devant les deux autres et (Y) serait paradoxalement classé dernier.

Cet exemple classique permet de montrer que la règle de la pluralité (majorité relative) est susceptible de conduire à des résultats à la fois socialement pervers et politiquement biaisés (voir Weber (1978), Myerson et Weber (1993) pour une discussion plus détaillée sur ce risque de biais).

Pour résoudre la question de l’intransitivité et l’indécision posée plus haut, notons qu’il existe une procédure naturelle consistant à organiser une « série d’élections par paires ». Dans ce cas, si à chaque élection les individus votent toujours pour le candidat le plus méritant selon leur ordre de préférence, alors à partir des vainqueurs majoritaires par paires, il émergera finalement le « véritable vainqueur », c’est-à-dire le gagnant majoritaire.

Il sied de remarque que le succès de cette démarche quelque peu fastidieuse requiert beaucoup d’effort de la part des principaux intervenants dans le jeu électoral : (Joueur 1) les organisateurs des élections ; (Joueur 2) les électeurs ; (Joueur 3) les candidats à élire.

D’une part, les organisateurs des élections doivent veiller à ce que tous les acteurs impliqués soient effectivement enregistrés au début de la série d’élections par paires et de veiller à la transparence dans l’enregistrement des votes et la proclamation des résultats.

D’autre part, les participants aux élections doivent strictement agir avec citoyenneté, car l’émergence du « véritable vainqueur » dépendra de la loyauté de leur vote.

Enfin, les candidats à élection présidentielle doivent veiller à mettre leurs projets de société respectifs à la disposition de l’électorat, suffisamment à temps. L’idéal serait que l’électeur dispose d’une grille comparative des différents projets de sociétés afin de garantir la « citoyenneté » du vote (voir Maskin (1979) pour plus de détails sur cette procédure. La défaillance d’un des trois joueurs sus-identifiés, par le non-respect de ces quelques exigences minimales (non exhaustives), nuirait à la crédibilité ex-ante du processus électoral lui-même.

Exemple 2.B.

Considérons l’exemple précédent (Exemple 2.A) et supposons que l’ordre de préférence des électeurs reste inchangé (même résultat). Appliquons à présent la règle de la « série d’élections par paires ». Sans perte de généralité, supposons qu’au cours de la première manche de l’élection, le candidat (Y) soit apparié avec le candidat (Z). Ensuite, le gagnant de cette première manche sera confronté au candidat (X) lors de la seconde manche. Avec un « vote citoyen » et conformément au résultat énoncé à l’exemple précédent, (Y) l’emportera sur (Z) et sur (X), à tour de rôle.

Si la règle de vote séquentiel permet de résoudre le problème lié à l’intransitivité et à l’indécision, il est important de noter qu’elle peut également déboucher sur une allotélie dans ce sens qu’il est possible qu’elle échoue à faire émerger le « véritable vainqueur ».

Exemple 3.

Dans une procédure d’élection par paires, considérons au premier tour un individu dont l’ordre de préférence est (X, Y, Z) et qui est convaincu que (Z) perdra inévitablement. Le candidat (Z) étant perçu comme le maillon faible, cet électeur sera soumis à l’incitation de voter pour (Z) plutôt que (Y) non par conviction citoyenne, mais dans l’espoir que (Z) se qualifie et s’oppose à (X) au second tour. Si les 48% des électeurs préférant (X) adopte cette stratégie et votent en conséquence et si le reste de la population vote de manière citoyenne, alors (X) sera le gagnant ultime.

Malheureusement, la pratique renseigne que les électeurs sont soumis à de fortes incitations pour un vote non citoyen, notamment tribal. Il existe cependant une procédure d’élection simple, immunisée contre les incitations au vote non citoyen et permettant de sélectionner le gagnant majoritaire sous certaines régularités (préférences uniques, connaissance de l’ordre des alternatives, etc.). Avec un tel mécanisme, les individus votent pour un candidat, et le candidat médian des suffrages exprimés est déclaré vainqueur.

Exemple 2.C.

Pour illustrer le fonctionnement de ce mécanisme, considérons une fois de plus l’énoncé de l’exemple 2A, c’est-à-dire 48% pour (X) ; 3% pour (Y) et 49% (Z). Dans cet exemple, il vient que le candidat (Y) est le candidat médian par rapport à l’ordonnancement des préférences et sera donc élu président de la République.

Notez qu’aucune personne agissant seule ou de connivence avec d’autres n’a d’incitation à voter pour un candidat autre que son favori. Si la préférence d’un électeur se trouve à la gauche de la médiane, il peut modifier le résultat de l’élection par fausse déclaration (vote stratégique et non citoyen) seulement en votant pour le candidat qui se trouve à droite. Comme un tel comportement peut déplacer le résultat plus loin vers la droite, il est donc clairement autodestructeur (cf. Gibbard (1973) et de Satterthwaite (1975) pour plus de détails).

QUELQUES REMARQUES CONCLUSIVES

Somme toute, cette note s’est proposé de défendre quatre idées que nous estimons cruciales dans le processus de choix des présidents de la République dans les pays en développement, comme la RDC.

Premièrement, dans un contexte de forte incitation au vote non citoyen, partisan et tribal, nous recommandons l’abandon de la règle de majorité standard et le recours à une règle permettant de « sélectionner » véritablement le gagnant majoritaire en traduisant les préférences complètes des électeurs.

Deuxièmement, nous soutenons l’inclusion de tous les acteurs politiques majeurs dans l’éventail des possibilités de choix politico-sociaux.

Troisièmement, nous proposons une stratégie consistant à l’élaboration d’une grille harmonisée et comparative des différents projets de société présentés par les candidats aux élections présidentielles, par une équipe des chercheurs interdisciplinaires et politiquement neutres, en vue de garantir tant soit peu la robustesse du processus électoral face aux évidences socio-psychologiques qu’ont révélées les modèles Columbia et Michigan.

Finalement, nous nous opposons à la règle de candidature unique et, comme alternative, la mise en place d’un système électoral qui permettrait à l’électeur de procéder à un classement complet de ses préférences vis-à-vis d’un éventail inclusif des différents candidats en lice.

En outre, en droite ligne des préoccupations soulevées par cette note, il serait tout à fait judicieux de compléter cette réflexion en intégrant les dimensions institutionnelle et culturelle, historique et même sociologique, en vue de prendre en compte certains aspects pertinents quant à la dynamique électorale dans les pays en développement tels que la RDC.

Il s’agit notamment de la nature de l’élite et son organisation, du lobbying, du niveau d’éducation et d’instruction des électeurs, de la vulnérabilité intrinsèque du processus électoral et d’autres faits propres aux pays en développement, cf. Grossman and Helpman (1994) ; Vaaler et al. (2006) ; Vergne (2009) ; Acemoglu et al, (2013) ; Tsasa (2016) ; Duggan et Martinelli (2017).

In fine, nous pouvons compléter la présente réflexion en notant que le processus électoral, comme cela nous est révélé par les faits historiques ou les recherches sur la participation électorale n’est pas uniquement une question de logique, mais aussi une question d’acceptation sociale et des restrictions politiques. Il n’y a pas des candidats absolument bons ou absolument mauvais. Il n’y a pas des mécanismes des choix sociaux « empiriquement » infaillibles.

Cependant, à notre entendement, le plus important dans un jeu électoral est le fait d’assurer au moins deux préalables ; les trois intervenants dans le jeu doivent veiller à ce que : (1) la volonté populaire puisse s’exprimer sans qu’elle ne soit dénaturée ; (2) aucune disposition intermédiaire n’affecte la crédibilité ex-ante et ex-post du processus.

Dans la réalité, les deux préalables sus-évoqués ne peuvent être réalisés à la perfection. Néanmoins, il faudra chaque fois fournir tous les efforts nécessaires à l’effet de s’en approcher le plus possible.

Dandy Matata Amsini   

Doctorant en économie à l’université protestante au Congo (UPC), Chercheur au LAREQ.

Jean-Paul K. Tsasa
Ph.D candidate en économie à l’université du Québec (Montréal, Canada), Chercheur au LAREQ et Co-auteur du livre « Macroéconomie : Fondements, microfondements et politiques » paru aux Éditions Hermann en mars 2018.

 

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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Tsasa, Jean-Paul K., 2016, Why Nations Fail in the Kingdom of Kongo, LAREQ Working paper, URL: http://lareq.org/publications

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