a la une
Dr Guy Bandu: « Le pont Route-Rail Kinshasa-Brazzaville, oui mais il faut remplir certains préalables »

Parmi les sujets brûlants de l’actualité, il y a le dossier du Pont Route-rail Kinshasa-Brazzaville qui a repris de la place dans les conversations.
En effet, au sortir de la dernière réunion du Conseil des Ministres, le Président Félix Tshisekedi a chargé Christian Mwando, Ministre d’Etat, Ministre du Plan d’apprêter le dossier relatif à ce projet pour ratification de l’Accord sur la construction du Pont au Parlement.
Pour parler de ce sujet qui a toujours fait couler beaucoup d’encre et de salive, nous avons pu entrer en contact avec le Docteur Guy Bandu, Vice-Président de la Chambre du Commerce et d’Industrie du Kongo Central (CCIKC), en marge du sommet de la mission commerciale Kenya-RDC qui s’est clôturée le vendredi 3 décembre 2021 à Kinshasa.
Docteur Guy Bandu a participé à ces assises en qualité de paneliste pour expliquer le rôle que les provinces vont jouer dans le réveil économique de la RDC.
Au cours d’une interview qu’il a accordée au media en ligne www.zoom-eco.net, Docteur Guy Bandu est revenu sur les avantages potentiels, mais aussi les risques d’une entrée précipitée dans un marché commun via le pont route-rail entre Kinshasa et Brazzaville.
Zoom Eco : Bonjour Docteur Guy
Bandu. Que pensez-vous du projet pont route-rail entre Kinshasa et Brazzaville ?
Guy Bandu : Le projet route-rail Kinshasa-Brazza n’est que l’évolution naturelle des relations bilatérales, des rapports sociologiques et de proximité existant entre les deux capitales les plus rapprochées du monde, au-delà d’être vu comme un simple fait de la mondialisation du système économique.
Cependant, la création d’une voie de communication terrestre multimodale entre Brazzaville et Kinshasa aura pour conséquence immédiate notre exposition à un marché commun de plus dont l’objectif ultime est la libre circulation des services, des capitaux et des personnes entre la RDC et les pays des autres zones africaines notamment ceux de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire des Etats d’Afrique Centrale) à laquelle n’appartient pas (encore) la RDC mais dont le Congo Brazzaville dirige la Présidence.
Il faut se rappeler que le positionnement de notre pays au Centre de l’Afrique et le partage de nos frontières avec 9 pays voisins fait inexorablement de la RDC un hub entre les principaux marchés communs africains car reliant le Nord au Sud et l’Est à l’Ouest du continent. C’est une aubaine pour notre pays qui pourrait bénéficier des avantages offerts par la signature de traités commerciaux avec plusieurs partenaires.
A ce jour, la RDC a ratifié 5 ou 6 traités de libre échange, si je m’abuse mais malheureusement nous n’en tirons pas suffisamment profit, bien au contraire, la RDC subit de plein fouet les pressions et les ambitions des économies africaines émergentes autour d’elle en quête de nouveaux consommateurs afin de garantir leur croissance via la prospérité de leurs entreprises.
La RD-Congo avec ses plus de 85 millions de consommateurs constitue un marché attrayant pour les entreprises des pays voisins.
Zoom Eco : Pensez-vous que la construction de ce pont est bénéfique pour la RDC ?
Guy Bandu : L’essence d’un marché commun n’est-il pas d’ouvrir l’accès à un plus grand nombre de consommateurs, à un échange de technologie et d’expertise avec les autres pays membres ?
Cependant, certains préalables essentiels mais non exclusifs doivent être réunis si nous voulons que notre pays et nos populations puissent en tirer profit. Il s’agit en l’occurrence de la mise en place : En plus du cadre régulateur, d’une législation adaptée avec une réglementation claire pour les litiges qui surviendront notamment des lois anti-dumping.
Le pays devra se doter des spécialistes en matière de contentieux relatifs à la concurrence avec des firmes venant d’autres pays ; d’un système douanier compatible avec ceux des autres pays puisqu’il y aura la levée des contraintes douanières entre les pays membres et ; d’une économie compétitive grâce à laquelle la RD-Congo offrira des produits capables de résister à la concurrence des produits venant des autres pays membres.
Si nous répondons déjà à ces trois contraintes, alors nous pourrons nous estimer prêts à retirer des dividendes des différents marchés communs auxquels nous appartenons.
Dans le cas contraire, la levée des dernières barrières vers notre marché intérieur au profit de nos pays voisins, que ce soit avec le projet route-rail Kinshasa-Brazzaville ou n’importe quel projet, aura pour conséquence l’envahissement de notre économie par les produits venant d’ailleurs à des prix plus bas que les nôtres et par conséquent l’effondrement des rares activités industrielles encore existantes.
Zoom Eco : Y aurait-il des risques particuliers pour la Province du Kongo Central ?
Guy Bandu : Même si l’objectif des traités commerciaux est l’amélioration des conditions socio-économiques des communautés membres, une entrée prématurée, précipitée voir peu ou non préparée dans un nouveau marché commun serait définitivement périlleuse et ne pourrait avoir que des conséquences délétères sur un tissu économique résiduel agonisant. Le Kongo Central risque d’être la première province la plus impactée.
L’exemple le plus illustratif de mes propos est le cas du port en haute de mer de Pointe Noire qui, à l’issue de travaux d’érection du pont route-rail Kin-Brazza, entrera en directe compétition avec nos ports de Matadi et Boma dont les droits de débarquement et d’embarquement constituent 80% des recettes de la Province du Kongo Central.
Ainsi, dès que l’entrée des marchandises sur le territoire RD-Congolais pourra s’effectuer par Pointe Noire via le pont route rail au détriment de Matadi et Boma, nos ports perdraient l’exclusivité comme voie d’accès maritime des marchandises vers le territoire ce qui entrainerait, de facto, un ralentissement de l’activité portuaire entrainant une asphyxie de la Province qui aurait perdu sa principale source de revenus. Il s’en suivrait une aggravation de la pauvreté et de la précarité existantes.
Zoom Eco: Nous vous remercions pour votre disponibilité.
Guy Bandu : C’est à moi de vous remercier.
Zoom Eco