Economie
Suspension des exportations de cobalt en RDC : avantages et inconvénients

ANALYSE-En date du 22 février 2025, l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Marchés des Substances Minérales Stratégiques (ARECOMS) a pris la décision de suspendre temporairement, pour une durée de quatre mois, toute exportation de cobalt de la République Démocratique du Congo.
Si cette décision a l’avantage d’aider la RDC et ses partenaires miniers à décider sur le prix à l’échelle mondiale, il sied de noter que la mesure présente quelques risques selon certains observateurs qui insistent sur des stratégies à mettre pour en tirer réellement profit.
En prenant cette décision de suspendre l’exportation de cobalt, le Gouvernement congolais veut faire face à la surabondance de l’offre sur le marché international. Une surabondance qui occasionne de pertes non seulement pour le Gouvernement, mais encore pour les entreprises minières productrices du cobalt sans oublier les artisanaux qui souffraient déjà de cette baisse depuis deux ans.
D’après plusieurs experts miniers, comme Madame Alphonsine Tshilefe (Team leader de la société civile dans le secteur minier et hydrocarbures), quelques facteurs justifient cette baisse de prix du cobalt sur le marché mondial notamment :
1° La loi de l’offre et de la demande
Les acheteurs profitaient de la baisse pour emmagasiner leur stock d’où les pays producteurs se sont retrouvés avec un surplus et donc obligés de vendre moins cher.
2° La production artisanale offre un prix vil beaucoup plus moins cher car quelques fois dupés par des acheteurs.
En effet, la société civile déplore le fait que les dépôts d’achat détenus par des chinois et libanais préfèrent acheter le cuivre et prennent le cobalt presque gratuitement.
Rappelons que la production artisanale congolaise représente 15 à 20% de la production totale. Et l’EGC s’est donné comme mission principale de contrôler l’artisanat pour bien réguler le prix.
3° D’autres métaux remplacent de plus en plus le cobalt dans la production de batteries. Ce qui conduit à la baisse de demandes de cobalt ipso facto le prix de cobalt.
Pour la société civile, qui encourage vivement cette mesure, cette décision est salutaire. Cette stratégie rentre dans le pouvoir dun Etat. Elle permet de revaloriser le produit tout en permettant ceux qui ont exporté en excès de consommer d’abord leur stock.
En conséquence, après la baisse de stocks chez les utilisateurs finaux, la demande en cobalt va accroître et le prix acceptable sera rétabli.
Toutefois, certains membres de la société civile se posent plusieurs questions.
Pour Madame Alphonsine Tshilefe par exemple, est-ce que quatre mois suffisent pour maîtriser le prix sur le marché international ? Et par quel mécanisme vont-ils maîtriser la surproduction?
Par contre, Franck Fwamba, fondateur de l’ONG Ressources naturelles pour le développement et initiateur de la campagne « Ne touche pas à mon cobalt », estime qu’il est anormal que CMOC double sa production avec près de 114 mille tonnes alors que la demande est faible.
« Cette surproduction profite plus à la Chine qu’à la RDC. Et quand le coût baisse, la redevance n’en beneficie pas non plus. », tranche-t-il tout en soulignant que les previsions de la demande mondiale du cobalt de 2021-2030, parlent d’une demande de batteries électriques de 116 mille tonnes de cobalt pour les batteries électriques. Toutefois, il soutient que cette décision permettra à la RDC d’être parmi ceux qui décident sur le prix du cobalt à l’échelle mondiale.
Parlant des inconvénients de cette décision du Gouvernement congolais, le professeur et sénateur Godé Mpoyi estime que cela va occasionner des pertes de recettes de l’Etat et avec risque de les combler difficilement.
« Dans un contexte de mondialisation que nous vivons actuellement, une telle mesure ne pourrait être efficace que si on travaille en cartel. En prenant cette décision, cela va avoir de repercussions en 2026. Il faudra plutôt de nouvelles mesures pour lutter contre la fraude, la corruption et le détournement. », pense-t-il.
Cet avis est partagé par Willy Kitobo Samsoni, Ministre honoraire des Mines. Ce dernier estime que cette décision est inopportune en ce moment.
« Une décision prise sans consulter les partenaires crée un problème car l’Autorité de régulation ne devait pas s’imposer. Cela va perturber l’économie congolaise. Et l’on sait que le cuivre et le cobalt rapportent le maximum dans les recettes du pays avec plus de 2/3. », indique cet ancien Ministre des Mines.
Aussi, renchérit-il, cette suspension présente un risque de pertes de recettes. En suspendant cela, la RDC laisse un libre champ à d’autres pays qui sont dans la même situation qu’elle (la Zambie par exemple).
Cet expert rappelle que le Gouvernement n’est pas encore en mesure de produire le cobalt avec l’EGC, donc la RDC, encore dépendante de ses partenaires miniers, ne devait pas prendre une décision unilatérale, si tel est le cas. Il rappelle qu’aucune disposition dans la loi minière ne donne ce monopole au Gouvernement de décider seul. Il alerte sur le fait que la RDC risque de perdre des parts de marchés car tout dépendra de la réaction des demandeurs et des autres pays producteurs de cobalt.
Et d’ajouter qu’en gardant la production pendant quatre mois, il y aura surproduction et manque de recettes.
Après cette suspension, soutient-il, le pays se retrouvera avec un excédent par rapport à l’année dernière.
Les entreprises minières n’approuvent pas cette suspension vu le manque à gagner qui sera enregistré pendant les quatre mois de suspension.
En produisant, les entreprises minières ont besoin d’écouler
leurs marchandises pour payer leurs redevances et autres charges mensuelles. Pendant ces quatre mois, comment feront- elles pour maintenir le gap?
Cependant, la société civile alerte déjà
l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Marchés des Substances Minérales Stratégiques (ARECOMS) sur une tendance de certaines entreprises minières à obtenir un allègement ou une dérogation à cette mesure du Gouvernement.
Selon CASMIA-G (plateforme comprendre et agir dans les secteurs miniers Industriel et artisanal et de la Gouvernance), la démarche de ces miniers constitue une menace majeure à la mise en œuvre de la démarche de l’État congolais. Cette plateforme appelle à la responsabilité des décideurs politiques pour sauvergarder la souveraineté de l’Etat sur le cobalt. Elle invite les miniers à accompagner le Gouvernement dans cette démarche pour une prospérité partagée.
Rappelons qu’actuellement plus de quarante (40) sociétés minières produisent le cobalt en RDC précisément dans le Grand Katanga.
Aussi, près de trois quarts du cobalt mondial est extrait en République Démocratique du Congo. Pourtant, la RDC ne produit pratiquement aucune quantité de cobalt raffiné, le minerai utilisé dans les produits finis.
En tant que tel, la RDC devrait influencer le marché du cobalt, dont elle est le plus grand producteur. Le cobalt étant un métal très important, car il réduit la surchauffe des batteries et est essentiel à la fabrication des véhicules électriques.
Nadine FULA