Tribune
Washington impose la paix, mais qui sauvera la RDC ?

TRIBUNE-La signature le vendredi 25 avril 2025, à Washington, d’une déclaration de principes entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda marque une évolution significative dans les dynamiques géopolitiques de la région des Grands Lacs africains. Sous l’égide des États-Unis, et avec la bénédiction de l’Union africaine, de la SADC et de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CEA), cet accord ouvre des perspectives inédites pour la pacification d’une des zones les plus conflictuelles du continent africain.
Dans ce contexte, le président américain Donald Trump a revendiqué, par un message publié sur sa plateforme Truth Social, un rôle personnel dans cette avancée diplomatique. Au-delà de la posture politique, il convient de reconnaître que l’approche pragmatique de son administration semble, contre toute attente, avoir produit des résultats concrets là où d’autres initiatives diplomatiques sont restées lettre morte. Qu’on partage ou non sa vision du monde, il faut saluer ici la capacité de cette diplomatie à générer un « effet de levier » sur des acteurs historiquement antagonistes.
Cette évolution majeure conforte également plusieurs de mes analyses précédentes, publiées dans diverses tribunes et développées dans mon nouvel ouvrage à paraître à Paris dans quelques jours « Géopolitique des Grands Lacs africains : Entre crises et renaissance (Éditions L’Harmattan, 2025). L’idée selon laquelle l’économie et les intérêts commerciaux peuvent constituer des facteurs puissants de stabilisation dans la région se trouve ainsi validée par les faits, la promesse d’une coopération économique occupant une place centrale parmi les engagements du nouvel accord.
LUEURS D’ESPOIR ET PRUDENCE STRATEGIQUE
Cet accord suscite, à juste titre, un regain d’espoir pour une paix durable dans la sous-région. Les engagements pris en matière de souveraineté, de sécurité régionale, de retour des déplacés, ainsi que le soutien renouvelé à la MONUSCO, sont des signaux encourageants. Toutefois, cet enthousiasme doit être tempéré par une lecture réaliste de l’histoire politique de la région. La méfiance profonde entre les peuples et les élites demeure une constante, et les précédents accords de paix n’ont pas toujours résisté à l’épreuve du temps.
Il est donc essentiel d’éviter tout triomphalisme démesuré. L’histoire enseigne que les accords de paix, aussi bien rédigés soient-ils, ne garantissent pas la transformation structurelle sans une volonté politique forte et sans mécanismes crédibles de mise en œuvre. Dans ce contexte, la RDC et ses partenaires doivent rester vigilants et lucides quant aux défis qui demeurent.
NE PAS HYPOTHEQUER L’AVENIR DU CONGO
La RDC doit utiliser cette dynamique diplomatique pour renforcer ses positions stratégiques et non pour compromettre ses intérêts à long terme. L’euphorie diplomatique ne doit pas occulter la nécessité d’une évaluation rigoureuse des accords signés, en tenant compte des conséquences économiques, sécuritaires et politiques. La préservation des ressources stratégiques et la protection de la souveraineté nationale doivent rester au cœur de toute négociation.
Par ailleurs, ce moment d’accalmie relative offre une occasion historique de refonder l’État congolais. Aujourd’hui, la RDC traverse une crise profonde de gouvernance et d’efficacité institutionnelle. La situation dans la capitale Kinshasa, caractérisée par une gestion défaillante des problèmes publics, illustre l’ampleur du défi. Il est urgent de rompre avec la banalisation de l’inaction et d’initier des réformes structurelles pour restaurer la capacité d’action de l’État.
POUR UNE REFONDATION INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE
La refondation de l’État congolais doit s’articuler autour d’un renouveau politique profond. Il est nécessaire de promouvoir des dirigeants compétents et patriotes, porteurs d’une vision claire et collective de l’intérêt national.
L’administration publique doit être modernisée pour devenir un instrument efficace au service du développement et de la justice sociale.
La réforme de l’armée et de la police s’impose pour bâtir des institutions sécuritaires professionnelles, crédibles et respectueuses des droits humains.
La justice doit être refondée pour garantir son indépendance et restaurer la confiance des citoyens. Le système éducatif, quant à lui, doit être repensé pour rompre avec l’obsolescence actuelle et former des générations capables de répondre aux défis contemporains, tant au niveau national qu’international.
L’amélioration de l’environnement des affaires est également primordiale pour stimuler l’investissement, encourager la création d’entreprises, réduire la pauvreté et dynamiser l’économie nationale. Cette refondation de l’État est indispensable pour sortir de la crise de confiance qui ronge les institutions et pour restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national.
LE FACTEUR EXTERNE : UN JEU DE PUISSANCES
L’engagement américain dans la stabilisation de la région des Grands Lacs répond aussi à des impératifs stratégiques. Les États-Unis, en imposant une dynamique de paix, cherchent à sécuriser leur accès aux ressources critiques de la RDC, notamment le cobalt, le lithium et le coltan, indispensables à la transition énergétique mondiale.
La RDC doit être pleinement consciente de ces réalités géopolitiques. Si la paix favorise le commerce et les investissements étrangers, elle ne saurait être synonyme d’une abdication économique. Le pays doit élaborer une stratégie nationale de défense de ses intérêts miniers et énergétiques, afin que l’exploitation de ses ressources contribue réellement à son développement durable.
POUR UN SURSAUT PATRIOTIQUE
La RDC doit aussi mettre fin à l’image de faiblesse et de mépris qui prédomine à son encontre dans la région des Grands Lacs et dans le monde. Cela nécessite un sursaut patriotique à travers un programme ambitieux de transformation nationale. La reconstruction de l’identité nationale passe par l’éducation, le renforcement des capacités institutionnelles, l’émancipation économique et la revalorisation de la citoyenneté.
La renaissance des Grands Lacs africains passe ainsi par la capacité des Congolais à croire en leur avenir, à exiger une gouvernance éthique et efficace, et à s’investir massivement dans la transformation de leur pays.
CONCLUSION
La signature de la déclaration de principes entre la RDC et le Rwanda constitue une avancée diplomatique notable, révélant l’efficacité d’une approche pragmatique, portée notamment par l’administration américaine actuelle.
Toutefois, la véritable stabilisation de la région dépendra bien plus de la capacité des pays africains à refonder leurs États et leurs sociétés que des appuis extérieurs.
La paix ne saurait être simplement décrétée; elle doit être construite dans la justice, la compétence, et la responsabilité. C’est en bâtissant des institutions solides, en promouvant une gouvernance exemplaire et en développant une citoyenneté engagée que la RDC, et plus largement la région des Grands Lacs, pourront espérer une renaissance durable.
À cet égard, il convient de rappeler avec pertinence l’avertissement de l’écrivain russe Anton Tchekhov : « La démocratie ne convient pas aux sociétés ignorantes car c’est la majorité ignorante qui décidera de votre destin. » Cette réflexion doit interpeller le peuple congolais. L’édification d’une société éclairée, éduquée et politiquement consciente est une condition sine qua non pour que la démocratie ne devienne pas une machine d’autodestruction, mais un véritable instrument d’émancipation collective. Vous n’allez pas voter pour un membre médiocre de votre tribu juste parce qu’il est de votre tribu.
Professeur Dédé WATCHIBA