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RDC : une histoire minière marquée par quatre divergences !

L’histoire minière de la Rd Congo est caractérisée par quatre principales divergences entre les investisseurs miniers et l’Etat. Albert Yuma Mulimbi, président du patronat congolais l’a racontée, le 13 avril 2018, à la tribune lui offerte au centre Atlantic Council à Washington aux États-Unis d’Amérique. Zoom Eco vous la propose, ci-dessous :
L’histoire minière de la RDC a très longtemps été celle de ses seules grandes entreprises minières, du temps de la colonisation, avant 1960, comme après l’indépendance. Cependant en 1966 la RDC, adopta une législation faisant de l’Etat le seul propriétaire de tous les gisements et de tous les permis miniers. Par ailleurs, il nationalisa les principales entreprises minières actives qui constituèrent littéralement les poumons de l’économie congolaise comme elles avaient été ceux de l’économie belge antérieurement.
Il faut se souvenir que la RDC fut le 4ème producteur mondial de cuivre et fournissait déjà 55% de la demande mondiale de cobalt. Le Congo était classé parmi les 15 premiers producteurs mondiaux d’or, le premier producteur mondial de pierres industrielles et fournissait 60% de l’uranium au « monde libre ». On estime qu’entre le début de l’exploitation au Katanga et les années 2000, 18 millions de tonnes de cuivre ont été produits, 500 000 tonnes de cobalt, 3,6 millions de tonnes de zinc, 280 000 tonnes de germanium, plus de l’argent en quantité.
Dans les années 1990, le pays connut une période de troubles et un changement de régime politique, qui vit le départ du Maréchal Mobutu et l’avènement du Président Laurent Désiré Kabila en 1997. Cette période d’affrontements internes et externes, difficile pour tout les pays, entraina inexorablement la faillite du système industriel congolais, minier, mais également de son système de transport, de fourniture énergétique et télécommunication et d’autre part et parallèlement une ouverture du secteur minier à des investisseurs étrangers, qui récupérèrent un certain nombre de concessions minières en échange de paiements aux belligérants.
C’est ainsi notamment que Lundin, une junior canadienne obtint la concession de Tenke Fungurume, qui quelques années plus tard en s’associant à Phelps Dodge Katanga – Freeport McMoran deviendra une des principales mines du pays. Ces deux acteurs ont d’ailleurs récemment vendu leurs parts à une société chinoise China Molybdenum, dit CMOC.
L’ONU estime à 5 milliards de dollars les actifs miniers qui furent transférés par des entreprises d’Etat congolaises, sans réelle contrepartie, à des opérateurs souvent liés aux opérations de guerre. Ces contrats furent souvent assortis de clauses dérogatoires du droit commun, leur octroyant des avantages spécifiques, souvent fiscaux, qui perdurent encore aujourd’hui et constitue un premier motif de divergence important entre l’Etat de la RDC et les investisseurs étrangers présents dans le pays.
Avec la fin des conflits en 2001, sous l’autorité du président Joseph Kabila, le cadre légal a largement évolué et un code minier, inspiré par la Banque Mondiale, fut adopté en 2002, confirmant l’ouverture du secteur minier aux investisseurs et précisant les règles applicables à l’ensemble de l’industrie minière. A partir de ce moment là, les investisseurs potentiels durent désormais passer par le cadastre minier (CAMI) qui attribue les titres sur la base du « premier arrivé et premier servi » et l’évaluation de leurs capacités techniques et financières, au lieu de négocier avec les entreprises d’Etat, comme par le passé. Celles-ci conservèrent néanmoins certains des permis qui étaient en leur possession à ce moment là.
Avec le code de 2002, les revenus pour l’Etat furent désormais conditionnés à la mise en production des opérations, pour la perception de royalties, et à l’amortissement de l’outil industriel, pour la perception de revenus sous formes d’impôts sur les bénéfices et de dividendes à travers les sociétés d’Etat partenaires. C’est le deuxième motif de divergence avec les investisseurs étrangers. A part les royalties, qui ont commencé à être perçues souvent 5 années après la cession des titres, période moyenne pour certifier, réaliser les études de faisabilité, construire et mettre en production –, les impôts sur le revenus et les dividendes ne sont jamais parvenus jusqu’à l’Etat.
Je veux être clair, aucun impôt sur un quelquonque bénéfice n’a jamais été perçu par l’Etat et aucun dividende non plus, en raison de résultats comptables perpétuellement déficitaires depuis la création de ces sociétés.
A cette époque 4 300 permis de recherche furent cédés par décrets ministériels, dont quasiment aucun ne s’est transformé en permis d’exploitation. En effet, les entreprises préfèrent disposer immédiatement d’un permis sur des réserves certifiées, permis appartenant principalement aux entreprises d’Etat, qui elles par le passé avaient certifié certaines de leurs concessions.
Si les investisseurs étrangers se sont montrés sont favorables à la libéralisation du secteur minier de la RDC, elles restèrent cependant assez allergiques au risque. Cela constitue un troisième motif de divergence avec l’Etat pour qui la libéralisation du secteur devait permettre d’élargir les ressources du pays, et pas uniquement de transférer celles déjà connues à des acteurs extérieurs, qui on va le voir, allaient de fait capter la marge produite, quasiment pour eux seuls, pour un risque minime, contrairement à ce qu’ils prétendent et pour un retour pour le pays bien en-deçà des attentes.
Les investisseurs, quand ils en eurent l’occasion, optèrent donc majoritairement pour des contrats de joint venture, notamment avec la Gécamines, qui céda ainsi en exploitation 32 millions de tonnes de cuivre de réserves, 3 millions de tonnes de cobalt dans des JV, comme KCC avec Glencore, TFM avec CMOC aujourd’hui, BOSS MINING avec ENRC, RUASHI MINING avec JINCHUAN, KIPUSHI avec Ivanhoe et d’autres entreprises principalement chinoises sur des gisements de moindre envergure.
En termes de production, le résultat fut largement à la hauteur des attentes, avec une production de cuivre qui atteignit assez rapidement 500 000 tonnes en 2011, comme au maximum de la production de la seule Gécamines, et à partir de 2014, un million de tonnes. En revanche en termes de revenus pour l’Etat et de ses entreprises minières, le constat fut largement en-deçà des attentes, c’est le 4ème motif de divergence.
Aucune des promesses des partenaires ne fut tenue. Nous avons fait modéliser les projections des études de faisabilité au regard des opérations réelles par le cabinet conseil Ernst&Young, et avons découvert : un dépassement systématique des dépenses d’investissement en moyenne de 200% par rapport aux études initiales ; un dépassement systématique des dépenses de fonctionnement en moyenne de 95% par rapport aux études de faisabilité ; un dépassement des frais financiers de 200% par rapport aux études. Le tout pour une production équivalente aux études de faisabilité.
Par ailleurs avec le cabinet Mazars, nous avons engagé une série d’audits sur nos principaux partenariats et avons découvert, en plus de la confirmation des faits modélisés par EY, des pratiques à la limite de la légalité : « en matière de gestion des contrats de sous-traitance et leur répartition entre l’actionnaire majoritaire et l’actionnaire minoritaire que nous sommes. En matière de structuration financière qui dans la plupart des cas, est basé à plus de 99% par le recours à l’endettement, endettement qui est fourni par les actionnaires eux-mêmes. En matière de respect des taux d’intérêt avec des spreads largement supérieurs à la pratique de marché. Parfois avec des pratiques de sous facturation pour la commercialisation par rapport aux normes de marché sur les contrats longs terme ou de la surfacturation vis à vis des sous-traitants qui peuvent être des filiales. En matière de comptabilisation des immobilisations, notamment incorporelles».
L’ensemble de ces faits a abouti à un résultat fiscal pour l’Etat quasi nul en termes d’impôt sur le revenu et d’impôt mobilier, représentant un manque à gagner de 3 milliards de dollars pour l’Etat sur la période 2008-2016 et de plusieurs centaines de millions de dollars pour la Gécamines en termes de dividendes. Cette situation a donc poussé d’une part l’Etat à réévaluer son code minier encouragé, par les benchmarks réalisés dans des institutions multilatérales indépendantes de la RDC ou des organismes universitaires de recherche, et d’autre part de conduite la Gécamines à lancer une opération de renégociation de tous ses partenariats.
Albert Yuma Mulimbi